dimanche 11 février 2018

FRANCE FANTOME - T. Raffier - Théâtre Gérard Philippe

QUAND LE THEATRE SE FAIT SCIENCE-FICTION
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"France Fantôme" nous donne à voir un genre rarement exploité au théâtre : la science-fiction. C'est la jeune metteur en scène Tiphaine Raffier qui se lance ce défi relevé haut la main, malgré quelques imperfections de jeunesse. Un talent à suivre.

NOS SOUVENIRS VALENT DE L'OR

Nous sommes au XXVème siècle dans la cuisine de Véronique. Tandis qu'un élève de son cours de littérature veut lui démontrer que supprimer 10% de "A la recherche du temps perdu" n'est pas réducteur pour l'oeuvre de Proust mais permet de gagner du temps, Véronique attend son mari Sam pour se rendre à une cérémonie. Sa préparation est régulièrement interrompue par une machine, le "démémoriel" qui lui suggère de décharger sa mémoire. Alors qu'elle parle avec Sam au téléphone ce dernier est victime d'une attaque terroriste menée par le groupuscule "pro-death". Grâce à la technique de la firme française "Recall-Them" elle va pouvoir faire revivre Sam en ramenant ses souvenirs dans le corps d'un autre. Il deviendra un "rappelé" et elle devra supprimer toute représentation du défunt. Mais dans cette ère de la "huitième révolution scopique" où toute représentation de visage est interdite, où l'on vend ses souvenirs pour gagner sa vie, vivants et "rappelés" peuvent-ils vivre ensemble sereinement ?

UNE JEUNE METTEUR EN SCÈNE A SUIVRE

Pour ce monde du futur Tiphaine Raffier n'a pas imaginé un univers futuriste. Le décor est presque banal. Les engins du futur sont des bricolages, pas des outils hyper-sophistiqués. C'est que ce n'est pas le décorum qui intéresse la jeune metteur en scène (31 ans), mais les idées. Dans ce futur qui voudrait nous débarrasser du culte de l'image elle nous parle d'aujourd'hui, de ces technologies qui voudraient améliorer notre bien-être, d'identité, de deuil, d'immortalité, de transmission, du pouvoir de la data, de terrorisme.

Véronique ne peut se résoudre à vivre sans Sam. Mais lorsqu'il lui revient dans une autre enveloppe corporelle, quand leurs deux visages sont effacés, quand certains souvenirs se font réminiscence, le mal-être qui s'instaure avec la présence de ce double est encore plus insupportable que l'absence de l'original.

La fable futuriste repose sur des codes que nous connaissons : un vocabulaire alambiqué, des colloques entre philosophes et chercheurs, des réunions type "alcooliques anonymes" où les "rappelés" expriment leur ressenti, une société nouvelle qui se crée des rites, des cérémonies aux accents de secte, une remise en cause de l'art et de la culture, des séances de soutien psychologiques. Autant de scènes qui nous parlent d'exclusion, de ségrégation, de peur de l'autre ou de l'inconnu, de confrontation à la mort qu'elle soit programmée, brutale, attendue, de société totalitaire, d'identité, de privatisation ou non de nos vies au travers de nos données. Autant de sujets d'actualités qui se cachent derrière le nouveau slogan de cette société du bien-être ou "Egalité, Sécurité, Immortalité" ont remplacé "Liberté, Egalité, Fraternité". Une société futuriste où tous semblent en perdition sans pour autant trouver la force de se révolter, hormis les terroristes "pro-death" qui prônent un retour au naturel.

Comédienne au sein de la Compagnie Si vous pouviez lécher mon coeur de Julien Gosselin, Tiphaine Raffier a assimilé les techniques du metteur en scène des "Particules Élémentaires". Elle se les approprie pour construire un spectacle d'une grande puissance scénique. La musique jouée en direct (Guillaume Bachelé)est parfois oppressante, parfois cajolante (quelle sublime version de Dream on d'Aerosmith !). Les vidéos de Pierre Martin s'intègrent parfaitement dans la scénographie : elles ne remplacent pas le jeu des comédiens, ne le mettant pas en gros-plan mais complètent l'action ou le discours. Le travail de lumière et de son sont est parfaitement maîtrisé.

Quant aux neuf comédiens et comédiennes qui portent cette fable futuriste ils sont d'une grande justesse. Edith Merieu (Véronique) passe par tous les états d'âme de Véronique, incapable de faire le deuil de l'être aimé, intellectuelle qui multiplie les interrogations sans trouver de réponse. Elle domine la distribution sans écraser ses partenaires qui multiplient les rôles passant de l'un à l'autre avec fluidité.


"Les inventeurs ne sont pas des scientifiques, ce sont des artistes."

En bref : Pour son troisième spectacle Thiphaine Raffier présente une fable futuriste puissante et troublante. Une jeune metteur en scène à suivre.

"Every time when I look in the mirror
All these lines on my face getting clearer
The past is gone
It went by, like dusk to dawn
Isn't that the way
Everybody's got the dues in life to pay"
Aérosmith

France Fantôme, texte et mise en scène de Tiphaine Raffier, avec Guillaume Bachelé, Fraçois Godard, Mexianu Medenou, Edith Mérieau, Haïni Wang, Johann Waber, Rodolphe Poulain et les musiciens Marie Eberlé et Pierre Marescaux. Lumière Mathilde Chamous, Composition musicale Guillaume Bachelé, Vidéo Pierre Martin, son Frédéric Peugeot, scnénographie Hélèbne Jourdan, costumes Caroline Tavernier


C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Théâtre Gérard Philippe
59 Boulevard Jules Guesde 93 Saint Denis
Du 31 janvier au 10 février 2018

13 & 14 Février - La Scène Nationale d'Alençon


Crédit photo @Simon Gosselin

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