dimanche 27 août 2017

SAIGON

FRESQUE SENTIMENTALE ET HISTORIQUE
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SAIGON, ville mystérieuse. Caroline Guiela Nguyen nous emmène à la rencontre de deux époques, de deux peuples, à la croisée de l'Histoire et des destins individuels, dans une fresque sentimentale et historique. Émouvant.

MYSTÉRIEUSE INDOCHINE

De l'Indochine je ne connais finalement pas grand-chose. Il y a le très beau film de Régis Varnier avec Catherine Deneuve, "L'Amant" de Marguerite Duras, cet oncle qui avait "fait l'Indochine" mais jamais n'en parlait, comme une tache honteuse et indélébile sur sa vie, et ce pays exotique où se situent les racines d'une ex-collègue mais sur lequel elle aussi gardait un voile pudique. Parce que ce n'est pas non plus dans les manuels de mes cours d'histoire du lycée qu'il en était question. C'est avec tout cela en tête que j'abordais le spectacle de Caroline Guiela Nguyen. La metteuse en scène de 36 ans nous raconte deux pans de l'histoire : Saïgon 1956, la fin d'une époque, la route de l'exil pour certains, et Paris 1996, date d'un retour qui est enfin possible pour ces Viet Kieu. Entre-temps l'Indochine est devenue le Vietnam, Saïgon est devenue Ho Chi Min Ville, le napalm a imprimé d'autres images dans les esprits, mais là n'est pas le propos de la dramaturge franco-vietnamienne.

SAÏGON 1956 - PARIS 1996

Nous sommes dans le restaurant de Marie-Antoinette. Un restaurant vietnamien comme il en existe tant en France. La scène, un décor empreint de nostalgie, se prête avec réussite aux allers-retours entre ses deux dates, celle du départ et celle du retour, les confondant parfois dans un glissement très cinématographique. Marie-Antoinette (la délicieuse Anh Tran Nghia), la maîtresse des lieux à la joviale bonhomie accueille une clientèle fidèle. D'une époque à l'autre on retrouve les rires et les larmes, les jeunes et les vieux, les séparations et les retrouvailles, les drames du pays et les cassures individuelles. Comédiens français et vietnamiens se côtoient dans ces deux univers temporels. Il y a des chants nostalgiques, des non-dits, des éclats de voix, et beaucoup de solitude et de tristesse retenue.

"Car c'est ainsi que se racontent les histoires au Vietnam, avec beaucoup de larmes"


AU PLUS PROFOND DE L'INTIME

Au travers ces tranches de vie de Viet Kieu (Vietnamiens de l'étranger) Caroline Guiela Nguyen livre avec beaucoup de pudeur les douleurs héritées de l'Histoire, celle de l'exil forcé, des difficultés à être accepté dans ce Paris du XIIIe arrondissement, de la violence faite aux générations métisses par leur pays d'accueil ou par le silence des aînés, de l'espoir d'un retour, du temps perdu que l'on ne rattrape plus. Des émotions authentiques fruit des récits recueillis par la dramaturge à Ho Chi Min Ville et à Paris.

La metteuse en scène ne s'attarde pas sur la fin du colonialisme. Ce qui l’intéresse c'est l'humain, l'âme et le cœur de ces oubliés de l'Histoire. Comme le ressenti d'Antoine (Pierric Plathier), fils d'une vietnamienne et d'un français, parti enfant de Saïgon et qui ne parle pas la langue de sa mère que cette dernière n'a pas voulu lui apprendre. De la difficulté de la transmission lorsque le souvenir du pays est trop douloureux. Les comédiens des deux nationalités sont empreints de cette douleur pudique et intériorisée, de cette nostalgie qui dévore de l'intérieur. Leur justesse de jeu nous touche au cœur. On touche à l'âme d'un peuple docile, pudique, blessé, qui ne s'épanche par sur ses états d'âme et n'étale pas ses sentiments. Antoine est l'image de la croisée de ces cultures : incompris de l'une comme de l'autre, seul avec le vide que l'Histoire a créé dans les vies de ces êtres déracinés, fantômes émouvants d'une époque révolue. Le récit s'étire, parfois un peu trop, et on regrette parfois que les personnalités ne soient pas toutes plus approfondies, mais on repart ému à défaut d'être bouleversé, avec en soi un fragment de cette tragédie franco-vietnamienne.

En bref : une fresque historique toute en pudeur, marquée par une forte nostalgie et une émotion contenue. Entre rires et larmes un pan d'histoire et des tranches de vie émouvantes qui nous plongent au cœur de l'âme d'un peuple blessé, écartelé entre deux cultures. Un très beau moment de théâtre qui tire peut-être trop sur le sentimentalisme ou le mélodrame pour en faire un spectacle complètement bouleversant.

Saïgon de Caroline Guiela Nguyen, avec Caroline Arrouas, Dan Artus, Adeline Guillot, Thi Truc Ly Huyng, Hoang Son Lé, Phù Hau Nguyen, My Chau Nguyen thi, Pierric Plathier, Thi Thanh Thu To, Anh Tran Nghia, Hiep Tran Nghuia

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Odéon - Ateliers Berthier
Boulevard Berthier 75017 Paris
Du 12 janvier au 10 février 2018
Durée 3h45 y compris entracte
Spectacle en français et vietnamien surtitré en français



Vu au Festival d'Avignon - Gymnase du Lycée Aubanel - Juillet 2017

Crédit photo @Christophe Raynaud de Lage
Crédit Vidéo @Ronan 

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