mardi 24 janvier 2017

MON TRAITRE

ETRE OU NE PAS ETRE UN 
HÉROS
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Emmanuel MEIRIEU adapte et met en scène deux textes de Sorj CHALANDON qui  nous plongent dans l'Irlande du Nord de l'IRA, entre héroïsme et trahison. Un récit autobiographique porté avec force par trois comédiens, et dont on ne sort pas indemne.


TROIS MONOLOGUES

C'est dans la pénombre que l'on rentre dans la salle Jean Tardieu du Théâtre du Rond-Point. Sur la scène une forme gît sous une toile grossière. Entre ombre et lumière. La pluie tombe sur ce jour de 2014. On enterre Tyrone MEHAN. Ils ne sont que trois pour porter en terre celui qui fut un héros de l'IRA avant de se révéler un traître. Il sera abattu le lendemain de son aveu.

Antoine, le luthier parisien, est venu exprès. Il prend la parole pour s'adresser à celui qui fut comme un père, celui qui l'a initié à la lutte contre l'occupant. La voix emplie de colère il veut comprendre, se rappelle leur rencontre dans les toilettes d'un bar, leur voyage sur les terres d'enfance de Tyrone, cette casquette qui les lie plus solidement que le sang. Il revient sur les espoirs qu'il portait et la désillusion, le choc, l’incompréhension lorsque Tyrone a avoué être un traître à la cause depuis 20 ans. "Je voulais qu'il affronte ces yeux-là". Antoine s'interroge : Tyrone était-il un ami sincère ou s'est-il joué de lui comme des autres ?

Jack, le fils de Tyrone prend le relais. Lui qui au nom de la cause a subi l'humiliation dans les prisons britanniques, subissant des traitements inhumains par le refus d'être traité comme un prisonnier de droit commun, lui qui a souffert pour défendre cette terre. Plus que tout autre il se sent trahi par ce père qu'il admirait. Il chante sa honte de porter par ricochet la trahison de son père qui fut son héros, lui demande de se relever.

C'est enfin le fantôme de Tyrone qui s'adresse à nous. Une voix aussi blanche que son écorce charnelle revenue d'entre les morts pour livrer sa vérité. Son histoire. La misère économique et affective dans laquelle il a grandi. Un père alcoolique. Une mère qui fait ce qu'elle peut. Etre catholique c'est être au chômage, subir les brimades et les attaques des protestants. Il raconte la peur, la faim, les maisons brûlées, la fuite, les frères qui tombent sous les coups de l'ennemi, l'entrée dans la lutte, les combats. Et cette nuit d'août 1979. La bousculade, les coups de feu, son ami qui tombe, lui qui devient un héros de l'IRA, l'arrestation, les deux années dans les prisons anglaises, les brimades, un secret trop lourd à porter. Ce secret qui le transformera en traite. La libération. L'aveu. L'attente de ses assassins.


ETRE OU NE PAS ETRE

Emmanuel MERIEU réunit dans cette adaptation deux romans de Sorj CHALANDON : "Mon traître" et "Retour à Killybegs". L'auteur, qui fut journaliste pour Libération et spécialiste du conflit en Irlande du Nord, livre un récit en partie autobiographique sur son amitié avec Denis DONALDSON, leader de l'IRA, symbole de l'insurrection dans un Belfast en guerre civile, mais aussi traître absolu, assassiné au lendemain de ses aveux. Le premier livre raconte cette amitié. Le second laisse le traître prendre la parole. Emmanuel MERIEU a choisi une mise en scène ultra épurée pour trois comédiens.

Trois monologues. Trois prestations statiques. Trois voix prenantes qui nous saisissent par la force du texte et de l'interprétation. Trois discours poignants qui nous saisissent d'émotion. Chacun exprime avec ses mots, sa sensibilité la douleur endurée par la trahison. Laurent CARON est Antoine, l'ami blessé, perdu qui s'interroge sur la sincérité de celui à qui il avait donné toute son affection. Brûlant de colère et d'incompréhension il nous saisit par son émotion, sa rage, "Tu es mort il y a des années, quand tu t'es vendu aux Anglais". Désemparé il donne sens aux interrogations de l'ami français. 

Le chanteur guitariste autodidacte Stéphane BALMINO réalise une très belle interprétation pour sa première fois en tant que comédien. Il transmet toute l'émotion, la colère, la déception du fils trahi, abandonné par ce père jusqu’alors auréolé de l'image du héros. Son interprétation de "Wake up dead man" donne un autre sens encore plus profond au texte de U2.

Jean-Marc AVOCAT, figure fantomatique du traître, captive par la sincérité, la souffrance du questionnement de Tyrone, son errance sur terre précédant celle d'après la mort. Pas de cercueil pour le traître. Pas de paix pour lui non plus. Car rien n'est jamais simple, ni pour le traître, ni pour ceux qu'il a trahis, rendant impossible le deuil

Un seul regret sur la scénographie : les projections sur la toile installée sur le devant de la scène ne sont absolument pas visibles par les tous premiers rangs, gâchant une partie du plaisir.

En bref : une adaptation saisissante des romans de Sorj CHALANDON. Une mise en scène épurée qui laisse entendre un texte fort. L'interprétation des trois comédiens laisse le public sans voix pendant de longues secondes après le dernier mot. Un spectacle puissant dont on sort marqué.

Mon Traître d'après les romans de Sorj Chalandon, mis en scène par Emmanuel Meirieu, avec Jean-Marc Avocat, Stéphane Balmino et Laurent Caron.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
2 bis Avenue Franklin Roosevelt 75008 Paris
Du 4 au 29 janvier 2017
Du mardi au samedi 21h - Dimanche 15h30

Crédit photo @ Mario del Curto / Vidéo Teaser Théâtre de la Croix Rousse

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