dimanche 18 septembre 2016

DJIHAD, L’odyssée de trois bruxellois qui partent en djihad

LIBÉRER LA PAROLE POUR S'ECOUTER ET VIVRE ENSEMBLEUN SPECTACLE INDISPENSABLE*****



Ben, Reda et Ismaël sont trois jeunes belges. Ils sont nés et ont grandi à Schaerbeek, un quartier de Bruxelles. "Musulmans de la deuxième génération" comme on les décrit dans les journaux. Alors, comme beaucoup de jeunes désœuvrés, sans travail malgré leur formation, ils ont décidé de partir faire le djihad en Syrie et tuer les mécréants.


"Hou la la les gars, je suis trop excité. Ça va être comme dans Call of Duty. J'ai top hâte d'aller tuer des mécréants"

Ce sujet d'actualité Ismaël SAIDI a choisi de le porter à la scène en décembre 2014. Avant Charlie Hebdo, avant le Bataclan, avant les attentats dans le métro de Bruxelles, à Magnanville, Nice ou Saint Etienne-du Rouvray. C'est un peu de lui qu'il a mis dans chacun des personnages, ses doutes d'adolescents lorsqu'il se sentait perdu et qu'à l'époque les jeunes partaient pour l'Afghanistan (et non, ce n'est pas une tendance récente). Il a aujourd'hui 40 ans et ne pensait pas que ce qu'il avait vécu à 16 ans serait toujours d'actualité. Au départ il n'y avait que 5 représentations prévues. Puis une 6ème, dans l'après-midi du 9 janvier 2015 et depuis ça n'a pas arrêté, la troupe donnant souvent 3 représentations par jour. Parti d'une cave le spectacle a immédiatement connu le succès. Après 156 représentations devant plus de 55.000 spectateurs dont plus de 28.000 élèves, DJIHAD le spectacle arrive en France.

Comment expliquer le succès de cette tragi-comédie ? Par le fait qu'elle parle à tous, quelle que soit la religion, la condition sociale, l'âge, le sexe. La grande force est de "libérer la parole". On rit beaucoup du parcours de ces trois pieds nickelés qui sur la route du djihad vont se découvrir. Ce parti pris de l'humour permet d'aborder toutes les questions sans tabou : la radicalisation, le besoin de reconnaissance, la rupture identitaire, les préjugés inculqués par l'environnement culturel, la pression communautaire. Pas besoin de mettre en oeuvre les gros moyens du théâtre public pour nous toucher au plus profond. Par les mots, le jeu, DJIHAD nous fait rire malgré le tragique des situations, leur hyper-réalisme.

Ben, Reda et Ismaël ont chacun leur motivation. Chacun d'eux a dû renoncer à quelque chose. Ils aimaient la musique, les mangas, l'alcool. Ben, le leader du trio, était un fan d'Elvis Presley. Il est même allé à Graceland se recueillir sur la tombe de son idole. Et là c'est la fin : il découvre que son idole s'appelle Elvis Aaron Presley et réalise qu'il admire un juif. Ismaël "gribouille". Son kif c'était de dessiner des mangas. Mais à l'école coranique il a appris que les dessinateurs vont en enfer. Quand à Reda il a dû renoncer à Valérie, son amour de 10 ans, parce qu'elle n'est pas musulmane. Alors il lutte pour ne pas noyer son chagrin dans l'alcool. Tous les trois ont douté, perdu leurs repères, retrouvé confiance grâce à la religion. Et puis il y a les images des frères musulmans qui meurent en Syrie, le discours des recruteurs qui fait espérer qu'ils vont enfin pouvoir faire quelque chose de leur vie et aider. Ismaël SAIDI le répète lors de chaque débat ou interview : "Attention, la pièce ne cautionne pas les salopards qui reviennent tuer chez nous. Eux, ce sont des criminels. Mais je veux comprendre ce qui en amène tant là-bas". "Qu'est-ce qui fait qu'un type qui a grandi à Saint-Denis ou à Molenbeek, qui a été à l'école comme vous, qui aurait même pu être votre ami, qu'est-ce qui fait qu'il passe du côté obscur". Sur la route Ben, Ismaël et Reda vont apprendre ce qu'était la vie des deux autres et les chemins qui les ont menés à la radicalisation. Ils prendront conscience des non-dits, de la manipulation dont ils ont été l'objet, qu'elle vienne de la société ou de la communauté, de ce qu'ils ont laissé derrière eux. Deux d'entre eux ne reviendront pas.


Tandis que le Festival d'Automne avec 81 Avenue Victor Hugo nous interpelle sur les sans-papiers et la place que nous faisons aux étrangers, que le théâtre privé sature la rentrée théâtrale de pièces de boulevard des années 1950, les Feux de la Rampe nous questionnent sur les raisons qui poussent ses enfants à partir ainsi, et a le courage de programmer DJIHAD, un spectacle qui nous rappelle que le théâtre peut être un outil de prise de conscience. Ce n'est pas pour rien que le gouvernement belge a déclaré ce spectacle d'utilité publique, ce qui lui permet d'être distribué gratuitement auprès des élèves. En contrepartie des représentations pour les scolaires, Ismaël SAIDI avait fait trois demandes au Ministre de l'Education Belge

- que les jeunes viennent le voir dans des théâtres, pas dans les lycées ou les gymnases
- qu'il y ait une mixité des publics et donc que les représentations ne soient pas organisées que dans les quartiers dits défavorisés
- que le gouvernement mette en oeuvre des actions pour aider les jeunes
Les deux premières demandes ont été honorées...


Pour les premières représentations c'est l'équipe belge qui est sur scène. Au bout de 10 jours elle sera remplacée par une nouvelle équipe qui s'annonce très prometteuse. 80 dates sont prévues en France. Des représentations auront lieu en scolaire mais aussi dans des prisons. Une autre équipe tourne aux Pays-Bas, et les représentations continuent en Belgique. A la demande de professeur il a été rédigé un livret pédagogique pour accompagner les représentations et les débats.


Comme l'a dit Maïtena BIRABEN  lors de la première, ce spectacle "rassemble" et "réconcilie". On pardonnera aisément les pointes de caricature et les imperfections de jeu pour ne retenir que l'émotion. Celle qui nous saisit quand l'un d'eux tombe sous les balles, quand Michel pleure sa femme comme nous pleurons les victimes des attentats, quand Ben profite de la solitude de son tour de garde pour prendre sa kalachnikov pour un micro et chanter comme le King Elvis, quand Ismaël de retour en Belgique entend les voix de ses amis morts en Syrie.

DJIHAD nous touche au cœur. Véronique ROY était dans la salle en ce soir de première. L'un de ses fils est mort en Syrie en janvier dernier. Comme elle l'exprimait au cours de la discussion qui a suivi la représentation la pièce pointe bien les parcours hasardeux, ces espèces d'aventures surréalistes. Là où je pense que c'est important c'est que pour soigner cette société qui va mal il faut toucher au coeur. "Cette pièce touche à l'empathie". (Lien vers le clic prévention du Djihad en cliquant ICI ainsi que vers sont interview sur Europe 1 en novembre 2015)

Le mot de la fin revient à l'auteur et comédien Ismaël SAIDI :


"Pour chaque affaire Dreyfus il y a un Zola, et à la fin c'est Zola qui gagne".

Avec (en alternance) : Ismaël Saidi, James Deano, Reda Chebchoubi, Shark Carrera, Florian Chauver, Adel Djemai, Helmi Dridi.

En bref : un spectacle plus que nécessaire qui aborde par le prisme de l'humour la problématique de la rupture identitaire d'une génération en perte de repère. Ismaël SAIDI nous interpelle, rétablit certaines vérités, aborde des questions grave en faisant fi des tabous, provoque rire et émotion, nous rassemble et nous mène sur la voie de la réconciliation. A diffuser sur une très grande échelle.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?

34 Rue Richer 75009 PARIS
Les jeudis, vendredi et samedi à 19h45
A partir du 17 septembre 2016



Crédit photo @AFP Miguel Medina

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