jeudi 28 janvier 2016

RICHARD III - THOMAS JOLLY

L'ANGE PUNK NOIR OU BLANC DE LA TERREUR
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I'M A DOG I'M A TOAD I'M A HEDGEHOG, I'M A MONSTER

A la fin de cet Henry VI de légende dont Thomas JOLLY nous a fait cadeau tout au long de la saison 2014/2015, un ange noir dressait sa sombre silhouette, celle du sinistre Richard.

Dès la première scène de RICHARD III il surgit des entrailles de la scène ou de la terre tel l'ange de la terreur. Rebut de l'humanité, être imparfait qui se venge de l'affront que lui a fait la nature. Ne nous y trompons pas : c'est une tragédie que nous présente Shakespeare avec RICHARD III. Le destin sombre d'un enfant rejeté de tous à cause de sa difformité, avide de pouvoir pour écraser ceux qui toute sa vie l'ont méprisé, rejeté, ignoré.

OMBRES ET LUMIERES

La scénographie surprend ceux qui on vu Henri VI peut-être parce qu'elle en prend le contre-pied. Richard III est un personnage sombre. La scène est noire, souvent vide de décors si ce n'est les échafaudages / praticables que l'on avait vus dans Henri VI et moins nombreux ici.

Moins imaginative la mise en scène ? Mais n'est-ce par pour la double raison que Henri VI était une surprise flamboyante que personne n'attendait là où Richard III est attendu au tournant par tous et parce que cette suite étant moins connue que le premier volet il y a aussi moins de points de comparaison. Entendons-nous bien, il n'est pas question de dire qu'une version précédente dans une autre mise en scène serait la seule et unique légitime. Elles sont différentes. Ainsi cet été à Avignon OSTERMEIER et Lars EIDINGER nous présentaient une version abrégée et un Richard III aigri. Celui de Thomas JOLLY est encore plus machiavélique et manipulateur, tel le Franck Underwood de House of Cards. Ainsi lorsqu'il prend la reine Anne dans sa toile d'araignée de lumière pour obtenir de la veuve de son frère qu'elle persuade sa fille d'épouse le meurtrier de son père (c'est clair non, c'est du Shakespeare !).

La mise en scène reste rythmée même si quelques changements de décors sur la fin de la première partie (avancée et recul latéral des rideaux) alourdissent la scène.

Il faut quand même avoir l'honnêteté de reconnaître quelques trouvailles de mise en scène qui ont souvent pour effet d'introduire une touche d'humour et de décontraction dans un texte pas toujours facile. Et c'est là qu'une fois de plus Thomas JOLLY réussit son pari. Dans un texte qui semble peu expurgé (4h30) la sobriété du décor fait place au texte et le rend audible (à l'exception de quelques effets sonores dramatiques qui en forçant sur les basses se superposent à la voix des comédiens). 

Face à un public parisien très critique et très demandeur l'aspect punk rock de la fin de la première partie, le couronnement du roi, ne fonctionne pas et le public de  l'Odéon ne rentre pas dans le jeu que le jeune dramaturge veut lui imposer. Dommage.

QUAND GAGNE L'EMOTION

La deuxième partie gagne en intensité dramatique. Oubliant les effets comiques elle permet aux personnages et notamment au rôle titre de prendre de l'ampleur. Les victimes passées réapparaissent. Sous forme de tableau officiel de famille, tels des anges protecteurs ou des menaces cauchemardesques pour faire trembler les armées. Sans oublier l'émotion avec une émouvante scène où les trois reines pleurent leurs maris, leurs enfants, chacune abordant son chagrin à sa manière mais dans une certaine communion. Ainsi la prenante mise en scène de la veille de la bataille avec les fantômes de ses victimes qui encouragent Brighton et se transforment en cauchemar pour Richard.

Entre ombre et lumière, telle l'âme torturée de Richard, les lumières sculptent l'espace. Jets lasers que se font portes, toile d'araignée, murs de prison. Blanches, rouges, omniprésentes et en mouvements subtils. Appuyées par le son digne d'un jeu vidéo ou d'un concert punk rock, ou semblant sorties d'un sabre laser d'un jedi.

Car cela reste la grande force de Thomas JOLLY : réunir un texte classique et ardu avec une mise en scène moderne qui séduit les foules, y compris les plus jeunes. "Populiste" l'ont qualifié certains, avec tout ce que cela a de péjoratif. Je réponds "populaire" et "moderne", une qualité, une énergie qui fait venir un public jeune dans les salles de théâtre, qui fait qu'ils ne seront pas dégoûtés mais séduits et qu'ils reviendront, avec encore plus d'exigence. Il se forgeront leur histoire, leur goût, leur propre relation au théâtre, mieux certainement qu'avec d'autres metteurs en scène plus élitiste et donc plus restrictifs.

Merci Monsieur Thomas JOLLY pour votre folie, votre énergie, votre jeunesse, votre fougue, votre créativité, votre parcours qui sort des sentiers battus et qui secoue un théâtre parfois trop établi. Bravo pour le magnifique et enthousiasmant travail de  votre troupe, la Picola Familia. Bravo pour votre générosité, pour votre envie de partager ces aventures avec votre public.

En bref : prenant le contre-pied de Henri VI Thomas JOLLY nous offre une version punk-rock de Richard III, enfant tourmenté qui prend sa vengeance sur la nature et sur les hommes. Un spectacle flamboyant par la qualité de son interprétation et une esthétique éblouissante.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
Odéon Théâtre de l'Europe
Place de l'Odéon - Paris
Jusqu'au 13 février 2016 - 19h
Durée : 4h30 (mais on ne les voit pas passer)




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