lundi 15 septembre 2014

CHÈRE ELENA

OÙ SONT NOS ILLUSIONS PERDUES ?

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JOYEUX ANNIVERSAIRE !


Lorsque Elena ouvre la porte et se retrouve face à quatre de ses élèves, comment ne pourrait-elle ne pas être touchée par leur marque d'affection à son encontre. Ils viennent à l'improviste lui offrir des fleurs et un cadeau pour son anniversaire. Cette "Chère Elena Sergueievna" : la meilleure des professeurs de maths. Plus qu'un professeur, presque une mère pour ces jeunes qui vivent leurs dernières heures d’insouciance de lycéens avant de se lancer dans une nouvelle vie, celle de l'université qui fera d'eux l'élite de la Nation ou les futurs bâtisseurs du pays.

Mais rapidement les sourires se figent et les masques des gentils élèves bien élevés disparaissent pour faire place à leur vraie nature. Commence pour tous une nuit dont aucun ne sortira indemne, pas même le public.

PEINTURE D'UNE SOCIÉTÉ EN TRANSITION


Créée en 1981 en Estonie la pièce fut interdite en Russie de 1983 à 1987 pour son côté subversif. Ludmilla RAZOUMOSKAIA y dresse le portrait d'une société en transition. Face à l’intègre Elena se dresse une jeunesse qui remet en cause les valeurs morales de ses aînés. Celle qui toute sa vie a lutté pour des idéaux, qui a choisi l'enseignement pour transmettre ses valeurs avec amour et passion, voit en quelques heures s'écrouler le monde pour lequel elle s'est battue.

À l'aube de leur vie d'adulte ces quatre lycéens ont déjà tout vécu, ou tout du moins le pensent-ils. Et surtout ils n'ont plus foi dans ces valeurs qui leur ont été enseignées : le travail, le respect, la lutte pour un avenir meilleur. Nés après la chute du mur de Berlin ils ne rêvent que d'argent facile et de plaisirs illusoires.

Mais leur Chère Elena se dresse entre eux et leur avenir. Ces derniers devoirs ratés pourraient leur fermer les portes de cette vie. Elle seule peut les sauver en leur donnant la clé du coffre qui renferme les précieuses copies.

Au fil de la nuit c'est une descente aux enfers qui va tous les entraîner. Un affrontement qui va crescendo jusqu'à engendrer une violence insoutenable.

La pièce est écrite alors que le pays traverse une crise économique doublée d'une crise morale. Que reste-t-il des idéaux de 1917 ? Va-t-on toujours vers un monde meilleur ? Comment en est-on arrivé à ce que de jeunes lycéens qui devraient être animés d'idéalisme puissent être aussi cyniques, aussi conscients des bassesses et des compromis des hommes et aussi habiles à les utiliser ?

MYRIAM BOYER ENTOURÉE DE JEUNES TALENTS PROMETTEURS

Le talent de Myriam BOYER n'est plus à démontrer. Elle incarne ici une Elena idéaliste qui face au chantage et à la demande de trahison qui lui est faite se trouve emplie du complexe d'Antigone : "c'est quand quelqu'un érige en principe sa vision idéaliste du réel" dit VOLODIA. Femme simple, combattante, généreuse et aimante, idéaliste, elle est tout d'abord stupéfaite, interloquée par la demande de ses élèves. Incapable d'y croire elle les voit évoluer, rôder, user de tous les artifices de la manipulation, de la séduction, de la menace, pour la faire craquer. Et si à un moment elle retrouve la force du soldat pour exprimer sa colère, elle sortira brisée de cette nuit en enfer. Elle a échoué dans sa mission. Elle avait foi en le bien. C'est le mal qui l'emporte.

Face à l'immense talent de Myriam BOYER 4 jeunes au talents prometteurs. François DEBLOCK révèle un VOLODIA d'une perversité machiavélique. Lui n'a rien à craindre. Sa place à l'université est assurée. Il n'est là que par charité, pour aider ses amis. Il se révèle un chef tyranique qui ira jusqu'au simulacre de viol sur l'une de ses amies pour faire pression sur le professeur. Le comédien a commencé le théâtre à 11 ans...avec Jean BELLORINI et a participé à PAROLES GELÉES, Molière 2014 du Meilleur Spectacle et du Meilleur Metteur en Scène. Il a reçu le Prix Beaumarchais et été nommé pour le Molière de la Révélation 2014. Un talent à suivre.
Jeanne RUFF donne à LIALIA toute la fraîcheur de sa jeunesse. Victime parce que femme elle l'est aussi parce que issue d'un milieu pauvre, parce qu'elle a le côté fleur bleue des adolescentes, et qu'elle est amoureuse de PACHA. Gauthier BATTOUE est un jeune intellectuel grande gueule, que l'on sent rapidement assez médiocre, et qui se révélera être de la plus grande des lâchetés. Enfin Julien CRAMPON donne vie à VITIA, l'idiot de la bande, le bon bougre, celui qui sert de "caution morale" de ces enfants bourgeois de fait ou en puissance puisque c'est pour qui est le plus en danger qu'ils sont venus ce soir, tandis qu'il sombre tranquillement dans son alcoolisme.

La mise en scène de Didier LONG est rythmée, efficace. La pièce est construite comme un thriller. Le décor joue sur les lignes de fractures pour donner à l'action la possibilité de s'exprimer simultanément en plusieurs lieux de l’appartement exiguë. L'utilisation judicieuse de la vidéo crée une scène de destruction assez irréelle, comme dans un temps suspendu et ralenti.


CHERE ELENA

En bref : une des première grosses claques de la rentrée théâtrale. Chère Elena est un coup de poing salutaire, un spectacle qui donne à penser tant il nous dérange, sans oublier qu'il nous rempli d'émotions. À voir sans hésitation aucune. Un propos fort porté par Myriam BOYER entourée de 4 talentueux comédiens en devenir.

C'EST OU ? C'EST QUAND ?
75 Boulevard du Montparnasse
Métro : Montparnasse Bievenüe (sortie 5)
Depuis le 2 septembre 2014
Du mardi au samedi à 21h - Matinée à 15h le dimanche


CHALLENGE THEATRE 2014 - Lecture - Spectacle / Le Blog d'Eimelle

Vu le 4 septembre 2014 - Poche Montparnasse

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